La semaine dernière se tenait à Paris la conférence Back From MAX qui fait suite à l’évènement MAX. L’objectif de cette conférence est de revenir sur les annonces et d’en proposer une interprétation au travers du témoignage de professionnels du secteur. Cette conférence a également été pour moi l’occasion de rencontrer Ben Forta en tête à tête, l’évangéliste en chef chez Adobe.
Plus de sophistication avec CSS et Flash
Je ne reviens pas sur les nouveautés présentées lors de l’évènement principal, car tout est détaillé ici : Récapitulatif des annonces de MAX 2011 : HTML5, Flash et tablettes. Par contre je voudrais m’attarder sur certaines annonces. À commencer par les propositions très intéressantes faites par les équipes Adobe sur les CSS Shaders : Introducing CSS shaders, Cinematic effects for the web. Pour vous éviter une longue explication, disons que les shaders sont de petites applications qui sollicitent la puce graphique pour accélérer le rendu des pixels. Traduction : des effets visuels très spectaculaires reposant sur un standard web, le pied !
Au vu de ces propositions, nous pourrions être en droit de mettre en doute l’intérêt de Flash face à de tels raffinements réalisés avec des standards web, mais ça serait oublier que ce ne sont que des propositions. Ces enrichissements doivent d’abord être acceptés par le groupe de travail des spécifications (un processus qui peut prendre des mois) et ensuite être implémentés dans les navigateurs (là ça peut prendre des années). De toute façon, la structure et le cycle de décision du W3C feront que Flash progressera toujours plus vite que les spécifications CSS (ou SVG ou HTML5…). Donc non, Flash reste un choix pertinent pour réaliser des effets visuels et graphiques que les navigateurs sont capables d’afficher de façon cohérente.
Ce n’est pas la première fois que j’aborde ce sujet sur ce blog (Pourquoi HTML5 et Flash ne peuvent être comparés et Flash et HTML5 ne sont pas concurrents), mais pour vous convaincre de l’écart entre ce que permet HTML5/CSS3 et Flash, il vous suffit de regarder de près les dernières réalisations de jeux en ligne :
- Age of Defenders, un jeu de Tower Defense sur Facebook ;
- TankiOnLine, un jeu de tanks multijoueurs qui vient de sortir sa V.2 ;
- Neema Project, un MMORPG qui devrait sortir à la fin de l’année (par le studio qui a réalisé Zombie Tycoon) ;
- Waste Invaders, un jeu de tir pas tout à fait fini, mais particulièrement spectaculaire.
Non seulement les jeux présentés sont particulièrement spectaculaires (d’autres exemples sur Molehill Gaming), mais ils peuvent également être portés sur les terminaux mobiles :
- Machinarium, un portage de jeu Flash sur iOS qui est en tête des ventes dans l’App Store ; Machinarium sur l’iPad
- Old School Race, un autre jeu en Flash qui a été porté sur iOS et Android.
Comme vous pouvez le constater, des progrès considérables ont été réalisés avec Flash et nous ne sont pas au bout de nos surprises, car l’API est loin d’avoir dévoilé tout son potentiel. En témoigne le projet Muscle Jump, une démo dont l’ambition est de pouvoir animer plus d’1 million de polygones, un record !
Bien évidemment, le web ne se résume pas à des jeux en ligne, mais petit à petit Flash va être utilisé pour des projets et réalisations toujours plus spectaculaires, alors que CSS3 va se concentrer sur la scénarisation du contenu (ex : Super Cool Text Effect ou Animated Button with CSS3). J’ai déjà eu l’occasion de le dire, mais je me répète : Les deux sont parfaitement complémentaires, vous n’avez pas besoin de choisir.
L’avenir d’Adobe et de ses produits par Ben Forta
De passage à Paris pour cet évènement, j’ai donc eu la chance d’interviewer Ben Forta en tête à tête, un privilège plutôt rare, car l’animal est dur à coincer (merci à Stéphanie d’avoir organiser la rencontre).
Ben Forta au MAX
Je vous propose ici un résumé de nos échanges :
- Au sujet de l’acquisition récente de PhoneGap, Ben précise qu’Adobe investi fortement dans les outils de publication sur smartphone, mais qu’ils ne croient plus réellement aux feature phones (les téléphones connectés d’entrée de gamme). Adobe est historiquement présent sur ces terminaux avec Flash Lite, mais ils préfèrent se concentrer sur un portage complet de Flash en ciblant des machines plus sophistiquées mais pas nécessairement plus chers. Il anticipe ainsi une disparition progressive des features phones au profit des smartphones low-cost.
- Au sujet des terminaux émergents (smartTV, cadres à photos connectés…), il précise que des discussions sont en cours avec des constructeurs, mais que les contraintes sont nombreuses (notamment sur les capacités de traitement et de stockage) et que les cycles de mise sur le marché sont beaucoup plus longs que sur le segment des smartphones. La position d’Adobe à ce sujet est clair : Partout où il y aura un navigateur, il y aura du Flash. Outre les démos publiques déjà présentées autour des TV connectées, il existe des exemples intéressants de tableaux de bord utilisant Flash, notamment chez Jaguar et sur un yacht dont je ne parviens pas à retrouver le modèle.
- À propos de l’abandon progressif du modèle de licence au profit de celui de l’abonnement, il précise que l’industrie du logiciel est en pleine transformation (le rachat d’Omniture par Adobe va dans ce sens), mais que l’adoption par les clients reste le critère de référence pour accélérer le basculement ou le ralentir. Comprenez par là que le marché n’est pas encore tout à fait prêt à abandonner un modèle de facturation à la licence pour ne faire que de l’abonnement.
- Au sujet du conflit entre Adobe et Apple, il indique que les relations sont maintenant bien meilleures qu’elles ne l’ont été et que les deux sociétés s’entendent maintenant parfaitement bien (même s’il reste des zones de friction localisées).
- À propos des efforts considérables fournis pour améliorer les performances des jeux en 3D (le nombre de polygones animés simultanément), l’industrie de la vidéo sera la prochaine à bénéficier des innovations du prochain Flash Player, il va également y avoir des acquisitions (Adobe Acquires Auditude to Capitalize on Exploding Video Advertising Opportunity), de même que les solutions de représentation des données (dataviz) associée aux offres de Business Intelligence d’Omniture.
L’entretien a donc été bref, mais très instructif. Je reste grandement impressionné par l’accessibilité de Ben Forta et la franchise de ses réponses.
À propos du soit-disant abandon de Flash sur les terminaux mobiles
Au cours de l’entretien de la semaine dernière, Ben Forta m’a donc clairement dit que la priorité pour eux n’était pas de cibler les features phones. Une posture confirmée par la récente annonce d’un recentrage sur les navigateurs d’ordinateurs et les applications mobiles : Flash to Focus on PC Browsing and Mobile Apps; Adobe to More Aggressively Contribute to HTML5. Cette annonce a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans l’industrie et de nombreux journalistes se sont précipités pour annoncer la mort de Flash et pour célébrer la clairvoyance de feu Steve Jobs qui ne croyait pas en Flash. Je vous propose donc de reformuler ce qui a été annoncé :
- Ils vont se désinvestir des terminaux mobiles, c’est donc l’arrêt de Flash Lite (qui de toute façon n’était pas vraiment viable) ;
- Ils vont mettre en pause les travaux d’amélioration des performances de Flash sur les smartphones (principalement Android sur lequel il y avait des problèmes de consommation d’énergie), mais vont continuer à améliorer AIR ;
- Ils vont redoubler d’efforts pour être l’acteur de référence en matière de développements HTML5.
Donc si l’on résume, ils vont transférer les ressources de R&D de Flash sur smartphones vers AIR sur smartphones. Or, AIR est un environnement d’exécution pour HTML… et Flash. Traduction : Moins de Flash dans le navigateur, mais plus de Flash encapsulé dans des applications mobiles distribuées sur les app stores (Plus d’infos sur le blog de Thibault Imbert : Focusing, et sur celui de Mike Chambers : Clarifications on Flash Player for Mobile Browsers, the Flash Platform, and the Future of Flash). Je pense que le succès récent de Machinarium et les problèmes de consommation d’énergie de Flash sur les navigateurs mobiles ont dû convaincre les équipes d’Adobe de faire ce choix d’arbitrage dans les ressources. Au final, je trouve que sur ce coup là, les journalistes nous ont livré une interprétation très médiocre et expéditive de cette réorientation.
Laissez-moi donc vous rassurer : Il y aura toujours autant de Flash sur les smartphones, et beaucoup plus d’HTML5 ! En fati sil ‘on prend du recul, les travaux n’ont qu’un objectif : accélérer l’adoption de HTML5 et optimiser les coûts de développement en privilégiant les applications « portables » d’un OS à l’autre plutôt que développée en langage natif. Dans cette histoire, les grands perdants seront HTML4 et ObjectiveC, certainement pas Flash.
J’attends donc avec impatience la sortie des différents jeux cités plus hauts, l’implémentation (probable) des évolutions des CSS, les innovations sur les terminaux mobiles et les annonces sur le futur Flash Player 12 qui visiblement devraient sortir dans les prochains mois.
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