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Vidéo HTML5, la guerre des codecs est déclarée

Très récemment Google annonçait le succès de son navigateur Chrome (Google’s Chrome browser hits 10 percent market share). Ils s’étaient illustrés ces derniers temps par un certain nombre d’actions d’évangélisation d’HTML 5 (Google à l’assaut d’iTunes et d’iOS avec Chrome et HTML5 ? et Google expérimente les ebooks en HTML5). La semaine dernière nous avons pu observer un changement de ton avec l’annonce de l’arrêt du support natif de H.264 dans la prochaine version de Chrome (au profit de WebM) : The Gloves Are Off, Google Chrome Browser Will Drop Support For H.264 Video Codec. Cette annonce n’a pas forcément eu le retentissement qu’elle aurait dû avoir, car elle préfigure une bataille rangée qui s’annonce des plus sanglante !

Pour encoder, il faut passer à la caisse

Avant toute chose, il est important de rappeler certaines notions pour ne pas rajouter à la confusion ambiante :

  • H.264 est un codec promulgué par le consortium MPEG LA (dans lequel on retrouve Microsoft, Apple, Sony, HP, Toshiba, LG…) ;
  • H.264 s’est imposé en peu de temps comme le codec de référence des vidéos HD, c’est également le codec utilisé (entre autres) dans les lecteurs Blue-Ray ;
  • H.264 est un codec gratuit pour un usage non-marchand, cela veut dire que vous ne pouvez pas bénéficier de la gratuité si vous faites payer vos utilisateurs ;
  • WebM n’est pas un codec, c’est un format multimédia qui repose sur 3 technologies : le codec vidéo VP8 (développé par la société On2 Technologies qui a été rachetée par Google en 2010), le codec audio OGG Vorbis et le format de fichier Matroska (qui utilise l’extensino .mkv) ;
  • WebM exploite le codes VP8 qui lui est en open source avec une licence BSD (donc qui est et restera gratuit) ;
  • Même si Chrome ne supporte plus H.264 de façon native, vous pourrez toujours regarder des vidéos encodés avec ce codec au travers de lecteurs vidéo Flash ou Silverlight ;
  • Firefox et Opera supportent nativement le format WebM dans la balise (et ne supporte plus le H.264).

H.264 est donc un codec largement utilisé pour faire de la vidéo HD sur le web (notamment par YouTube, Netflix, Hulu…) mais qui engendre des coûts de licence. Pour être plus précis : il existe une version gratuite de H.264 (x.264) qui permet de faire de l’encodage avec des solutions software (donc pas très puissante). Mais si vous voulez encoder des vidéos à l’échelle industrielle, il va falloir utiliser des solutions hardware qui sont elles payantes (par nombre de CPU).

Donc si l’on résume : le codec H.264 est gratuit pour les amateurs mais payant pour les gros acteurs (ceux qui vivent de la VOD ou d’autres activités relatives à la vidéo en ligne). Le group MPEG LA a annoncé une totale gratuité de son codec pour un usage non-commercial mais le doute persiste (MPEG-LA Makes Free Internet Video Royalty Free Perpetually). Google a pris la décision de ne plus encourager l’utilisation de ce codec pour une exploitation dans un lecteur video HTML5, mais son usage perdurera au travers des plugins Flash et Silverlight.

(Merci à Mathias Blandin, consultant web & VOD, pour toutes ces précisions)

Flash vs. HTML5 = Apple vs. Google vs. Microsoft

Jusqu’à récemment, Flash était la technologie de référence pour faire de la vidéo sur le web, mais avec l’avènement d’HTML5 (et de sa balise ), le marché a entrevu la possibilité d’exploiter de la vidéo de qualité sans avoir recours à un plugin et surtout sans les solutions coûteuses de streaming (exploitant Flash ou Silverlight). Netflix travail ainsi activement à l’éllaboration d’un nouveau standard : Netflix Working on HTML5 Standard for Streaming Video.

Interrogé à ce sujet, Samuel Rohault (le directeur technique de MySkreen) analyse cette situation comme un retour en arrière pour les éditeurs et diffuseurs qui doivent à nouveau se casser la tête sur le choix d’un codec et des technologies qui vont avec. Selon lui, H.264 apparait néanmoins comme la solution la largement répandue au travers de Flash.

Nous nous retrouvons donc avec deux clans :

  • Google, Mozilla, Opera et tous ceux qui veulent pouvoir faire de la vidéo HD avec un lecteur HTML ;
  • Apple, Microsoft et tous ceux qui veulent toucher des royalties en prélevant des revenus à la source (lors de l’étape d’encodage).

Le fait que Google annonce le non-support de H.264 et soit obligé d’expliquer son choix illustre les enjeux du marché de la vidéo HD sur le web (cf. More about the Chrome HTML Video Codec Change). Aujourd’hui nous savons qu’Apple ne peut pas se rallier au premier camp : d’une part car l’ouverture n’est pas son truc, et d’autre part car iOS ne supportant pas Flash, il faut bien que Safari puisse faire tourner les vidéos encodées en H.264 sur iPhone et iPad. La grande question est donc de savoir si Microsoft va basculer dans un camp et assurer le support effectif de WebM dans IE9 (pour le moment la dernière version permet de jouer des vidéos WebM uniquement si le codec VP8 est déjà installé sur la machine).

Peu importe le fait que tel ou tel navigateur supporte le codec H.264 (de toute façon Flash est déployé sur plus de 97% des postes), l’important pour Google est que le plus grand nombre de navigateurs supportent nativement son alternative : le format WebM et son codec VP8. Ils ont donc annoncé dans la foulée la disponibilité prochaine de plugins WebM pour IE et Safari. Un passage en force qui provoque des remous (euphémisme).

iOS vs. YouTube

Nous avons donc un duel avec Google contre Apple et Microsoft (qui lui même est en compétition directe avec Apple). Donc au final c’est plus une guerre à trois entre les ennemis historiques Google vs. Apple vs. Microsoft. Qui va gagner cette guerre ? Il est encore trop tôt pour le dire, mais un atout dans le jeu de Google pourrait bien lui permettre de rafler la mise : YouTube.

Autant Apple a vendu une petite centaine de millions de machines tournant sous iOS, autant les utilisateurs de YouTube se comptent en milliards. Si Google décide d’intensifier le conflit, il lui suffit d’imposer le codec VP8 sur les vidéos HD pour déstabiliser l’ensemble du marché. C’est donc un moyen de pression de formidable. Cela fait déjà un petit moment que Google propose de tester un player HTML5 sur son site mais je ne sais pas quelle est la proportion de vidéos encodées en VP8 par rapport à H.264.

Autre levier de pression de Google : Android. Son système d’exploitation pour smartphone supporte nativement H.264 pour la vidéo HD et le streaming. L’abandon de H.264 serait une nouvelle étape dans cette guerre des codecs, bien que Flash soit également disponible sur Android (donc une situation identique à celle des desktops).

Dernier élément à prendre en compte : la technologie de streaming. Le Progressive Download (la méthode actuellement la plus répandu) consomme en effet beaucoup plus de bande passante que l’Adaptive Streaming (qui ne télécharge que des petits tronçons de vidéo et adapte la résolution et le nombre d’image par seconde). Apple, Microsoft et Adobe proposent chacun leur solution (respectivement HTTP Live Streaming, Smooth Streaming et HTTP Dynamic Streaming) mais exploitent tous le codec H.264. Voici donc un argument décisif en faveur de ce dernier car non seulement il permet d’économiser de la bande passante (et nous allons très rapidement en manquer avec l’explosion des usages de la vidéo HD) mais également d’incruster des messages publicitaires beaucoup plus facilement. En d’autres termes : H.264 permet de faire de l’Adaptive Streaming qui génère des économies de bande passante d’un côté et des revenus publicitaires de l’autre. Deux arguments de poids auquel Google devra trouver une alternative (plus d’infos ici : Adaptive Bit Rate Video Streaming: Why Delivery Will Matter More Than Codec).

Je ne suis pas un spécialiste du secteur, mais mon petit doigt me dit que cette guerre ne concerne pas réellement le marché de la vidéo sur le web, ni sur les terminaux mobiles. Avec WebM, Google est en train de peaufiner son plan d’invasion (de domination ?) de la télévision. 2011 va en effet être une année décisive pour le marché des smart TVs et plus généralement pour le marché des contenus numériques sur les TV connectées (VOD, abonnement…).

L’avenir nous dira comment cette guerre va évoluer, mais je suis prêt parier ma Freebox V.6 que la bataille va se déporter sur la TV.

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